Maurice Somo : « Exclure ces élèves, c’est renoncer à la mission d’éducation de l’école »

Psychosociologue de l’éducation, il analyse les responsabilités ayant conduit au dérapage sexuel des élèves du complexe scolaire adventiste d’Odza. Il plaide par ailleurs pour des sanctions appropriées à infliger à ces enfants.
Par Armel Mouanjo
Une vidéo montrant des élèves du complexe scolaire adventiste d’Odza a fait le tour des réseaux sociaux il y a quelques jours. Un scandale sexuel qui a conduit à l’exclusion définitive de l’établissement scolaire, de la fille présente dans la vidéo, puis des 11 élèves impliqués dans cette dérive. Quelle appréciation faites-vous de l’exclusion de ces élèves de cet établissement scolaire ?
Tous les acteurs de l’éducation ou de la communauté éducative doivent être forcément outrés qu’il y ait un dérapage qui conduise à des attitudes comme celles qu’on a vues chez la jeune fille. Lorsque l’acte d’indiscipline est posé, il faut faire une analyse froide et en tirer les meilleures conclusions pour sanctionner les enfants coupables de cet acte. Et dans une approche pédagogique, chercher une décision adéquate pour conserver la mission d’éducation dévolue à tous ceux qui sont autour de ces enfants-là.
Retrouvez-nous désormais sur notre chaîne WHATSAPP
L’exclusion de la jeune fille, comme l’exclusion de tous ces enfants, est ce que nous devons regretter, car c’est la pire des décisions que peut prendre un éducateur, un système, un établissement pour son apprenant. L’école se veut une société inclusive, et non sélective qui veut que l’on n’y prenne que ceux qui sont disciplinés. L’école doit intégrer ceux qu’on peut appeler des renégats du système et les remettre sur le droit chemin. Car, c’est la mission de l’école envers les enfants.
Comment comprendre la réaction des responsables du complexe scolaire adventiste d’Odza ?
Prendre ainsi un enfant ou un groupe d’enfants qui s’est rendu coupable d’acte d’indiscipline et les exclure, c’est en réalité renoncer à la mission qui est celle de l’éducation. C’est comme si vous emmeniez votre enfant à l’hôpital parce qu’il est malade et le médecin vous dit qu’il vous renvoie votre enfant sans le soigner parce que sa maladie est trop grave pour qu’il essaie quoi que ce soit pour le soigner, alors que le rôle du médecin, c’est de soigner les malades. C’est la même chose pour l’école. Les parents emmènent vers l’école les enfants pour que l’école aide à leur redressement, leur éducation.
Les renvoyer veut dire aux parents, reprenez vos enfants avec tout ce qu’ils ont fait de mal et débrouillez-vous à trouver là où vous allez les placer. Quelle école va accueillir ces enfants qui ont été renvoyés ? La faiblesse est celle des éducateurs qui n’ont pas joué leur rôle. Et c’est très grave. Nous condamnons le renvoi de ces enfants et appelons à ce que ces enfants soient repris et que des sanctions appropriées soient prises à leur encontre.
Un enseignant est doté d’outils pédagogiques de grande qualité pour que, lorsqu’il y a une situation comme celle-là, il sache quelle est la sanction appropriée.
Et dans ce cas, quelle est la sanction appropriée pour ces onze élèves exclus ?
Pour prendre une sanction contre ces enfants, il faut d’abord comprendre pourquoi ils en sont arrivés là. L’approche pédagogique dans ce cas consiste, avec des conseillers d’orientation, des assistants sociaux et les enseignants, à mettre en place une structure qui a les pouvoirs de déconstruire l’addiction que les enfants ont pour ce genre de pratiques. Cela va commencer par des entretiens avec des enfants qui devront permettre de faire l’histoire psychologique de chaque enfant. Il faut retrouver là où il y a eu un dysfonctionnement dans son éducation et essayer de procéder à la réparation.
Lire aussi : Harcèlement sexuel: Le Minedub suspend un enseignant
Il ne s’agit pas de fouetter l’enfant ni de l’exposer publiquement comme on le fait actuellement. Il s’agit de procéder par une démarche qui consiste à déconstruire ce qui s’est fait dans la tête de l’enfant, ou ce qui sur le plan psychologique, a causé ce genre de comportement. Car, croyez-moi, ils ont immédiatement regretté l’acte qu’ils ont posé. Et la pédagogie permet de le faire en lieu et place d’une exclusion.
La communauté éducative a-t-elle réellement joué son rôle dans l’encadrement de ces enfants ?
La communauté éducative place l’enfant au centre du système éducatif. Il y a les parents, il y a l’école, les enseignants, les conseillers d’orientation, les assistants sociaux, qui ont chacun un rôle à jouer dans l’éducation de l’enfant. Il y a la société plus globalement, ainsi que la famille. Tous ceux qui entourent l’apprenant doivent jouer leur rôle. Pour qu’on en arrive à un tel dérapage, forcément à un moment donné du processus éducatif, un maillon du système a dysfonctionné. Ça peut être les parents qui n’ont pas fait une bonne éducation à la sexualité des enfants ; peut-être qu’ils ont été beaucoup trop permissifs et finalement l’enfant a expérimenté. Cela peut être au niveau de l’environnement scolaire parce que l’interaction avec les autres camarades peut faire que dans les commentaires qu’ils font entre eux, ils décident d’expérimenter quelque chose que l’un d’eux a exposé. Cela peut être un dérapage sur le plan de l’enseignement, un enseignant qui fait un cours sur la reproduction humaine et les enfants décident de pratiquer ce que l’enseignant a dit pendant le cours. Cela peut être les réseaux sociaux, la télévision. Il y a une multitude de situations dont l’enfant peut être l’imitateur servile. Et pour réparer cela, il faut identifier la souche de ce qui s’est passé. Et une fois la souche identifiée, on peut avoir une approche thérapeutique.
Parlant d’éducation à la sexualité. Comment doit s’y prendre le parent pour éduquer sexuellement son enfant ?
La première des choses, c’est l’éducation des parents eux-mêmes, quant à la façon dont ils devraient s’occuper des enfants, le discours qu’ils devraient leur tenir. Des séances d’éducation à la parenté responsable sont importantes pour que l’on dise aux parents quel discours, quelles attitudes avoir vis-à-vis des enfants afin d’éviter des dérapages comme ceux-là.
L’éducation sexuelle de l’enfant commence dès la naissance. Il faut donc apprendre à la jeune fille comment prendre l’enfant entre les mains ; le complexe d’Œdipe qui intervient autour de 5 ans doit pouvoir également être géré par les parents, parce que la relation de l’enfant avec un parent peut être conflictuelle et cela peut avoir des conséquences sur le plan de la sexualité de l’enfant. Il faut savoir plus tard comment gérer la puberté et toutes ces pulsions qui naissent avec. Il y a un enseignement pédagogique pour le parent dans l’accompagnement et le développement psychologique et affectif de l’enfant. Et c’est ce qui manque à la plupart des parents.
Lire aussi : Elève fouetté à la machette: “L’enfant est traumatisé” (Laurent Serge Etoundi Ngoa)
On devrait organiser dans les hôpitaux, dans les écoles, des lieux de conférences, des sessions d’éducations sur la responsabilité des parents, la responsabilité de la société et celle de l’école dans la conduite de l’enfant l’ »enfant est comme du ciment, comme un mortier, une fois que vous lui avez donné une forme, vous ne pouvez plus revenir à l’étape initiale
L’une des solutions proposées par le gouvernement est d’introduire des cours de sexualité dans les programmes scolaires. On se souvient encore des images et des cours à problèmes contenus dans les livres décriés par les parents et la société. Est-ce la solution ?
C’est une solution si elle est bien appliquée, mais malheureusement, le danger, c’est d’emmener les enfants à la découverte des choses qui ne sont pas pour leur âge sans qu’on ait pris toutes les précautions nécessaires pour encadrer ce type d’enseignement. Les enseignements qu’on a voulu donner aux enfants sont une transcription mécanique de ce qui se passe ailleurs, qui, sur le plan socioculturel de référence pour nos enfants, n’était pas approprié.
Lire aussi : Affaire Martin Camus Mimb : Une “sextape” qui ébranle l’opinion publique
L’école ancienne voulait que la sexualité soit taboue pour les enfants, notamment au sein de la structure familiale. Et cela a abouti à une jeunesse qui était assez rangée. Mais, au fur et à mesure qu’on est passé de tabou à la vulgarisation de la sexualité, le résultat est ce que nous observons aujourd’hui.
C’est bien qu’il y ait cette éducation, mais qu’elle soit tenue, non par des personnes qui recherchent un intérêt pécunier, mais qui recherchent une éducation véritable des enfants. Que ce soit des images appropriées, des contenus de textes appropriés, fait par une association de pédagogues et de psychologues.
Nous Suivre
join followers join followers join followers