Je Fais Un Don

Type to search

A La Une Education Télé’Asu News

Maurice Somo: “le fouet ne rend pas un élève plus intelligent qu’il ne l’est”

Psychosociologue de l’éducation, il se dresse en faux contre l’usage de la chicotte dans les établissements scolaires. Selon l’expert, le fouet est contreproductif et n’entre pas dans la liste des sanctions prévues en milieu scolaire.

Entretien mené par Blaise Djouokep

Il y a quelques jours, à travers un communiqué, le ministre des Enseignements secondaires rappelait aux enseignants l’interdiction de l’usage du fouet en milieu scolaire relançant ainsi le débat sur ce mode de punition. Quelle réflexion vous inspire ce rappel à l’ordre du Minesec aux enseignants ?

Madame la Ministre rentre dans la logique de proscrire une pratique qui relève depuis longtemps de la tolérance administrative dite “normale” et courante au sein de certains établissements qui clament à gorge déployée que les bons résultats scolaires obtenus le sont à force d’utilisation de la chicote. Bouchant yeux et oreilles sur une méthode de traitement totalement inhumaine dans une société moderne.

Les ministères en charge de l’Education ont laissé prospérer et dans une certaine mesure, ont encouragé des graves atteintes à la réglementation en vigueur, au point ou parents , élèves et tous les observateurs ont fini par croire que les châtiments corporels faisaient partie de l’arsenal de répression disciplinaire en milieu scolaire, pourtant il n’en est rien du tout. A la lecture du classement annuel des établissements scolaires publié par lesdits Ministères, les mieux classés sont généralement ceux qui ont la chicote en usage dans leurs méthodes, l’arbre qui a longtemps cache la forêt.

Est-il possible de transmettre le savoir ou d’éduquer un enfant sans recourir au fouet?

L’usage du fouet n’est prescrit nulle part dans le processus éducationnel, ni pour les transmissions cognitives, ni dans le recadrement disciplinaire et encore moins dans les procédés d’insertion socio professionnelle de l’apprenant. Ce sont-là, les trois piliers fondamentaux de l’Education.


Les mutations de notre société vers une éducation moderne intègre des méthodes appropriées qui protègent l’individu (apprenant et enseignant) de toute agression physique et psychologique sous quelque motif que ce soit. Les écoles de formation des enseignants se sont arrimées depuis longtemps à ces méthodes pédagogiques modernes plus persuasives et plus efficaces.

Lorsqu’un enseignant fait recours au fouet pour faire passer un substrat cognitif à un apprenant, la probabilité pour ce dernier de se braquer et de développer une relation conflictuelle avec son enseignant tortionnaire est très forte. Il s’en suit un dédain de l’école et du système matérialisé par une forme de rejet de l’école (anorexie scolaire), et plus tard des fugues compilées qui aboutiront très souvent à un abandon de l’école (décrochage scolaire). Pratiquement trois cas sur dix élèves déclinent dans ce parcours d’enfoncement quand ils sont victimes de sévices corporelles à l’école ou au sein de la famille.

Le fouet est généralement utilisé contre les élèves récalcitrants, ceux qui se refusent généralement de faire leurs devoirs, ou les plus indisciplinés. A quels autres moyens peut recourir l’enseignant pour ramener ces élèves à l’ordre ?

Le recadrement des apprenants récalcitrants ou tout simplement indisciplinés est traité de fond en comble dans le règlement intérieur de chaque établissement et part d’une punition élémentaire, mais pédagogiquement productive pour l’apprenant (recopier un texte plusieurs fois par exemple) à une exclusion définitive de l’établissement qui est l’extrême sanction. A aucun passage il n’est prévu le recours à la chicote et sous quelque prétexte que ce soit.

LIRE AUSSI: Elève fouetté à la machette : les deux enseignants interdits d’exercer

Lorsqu’un enfant devient récalcitrant, tout commence par l’amorce d’un dialogue dont l’enseignant formé maitrise bien les termes et le process. Il s’agit de lui expliquer le caractère inapproprié de son attitude et les risques encourus. S’il persiste, il faut intégrer d’autres acteurs pouvant avoir une influence sur lui, notamment les responsables administratifs ou les parents. C’est à cette suite que peuvent se déclencher les sanctions prévues par le règlement intérieur. Un Conseiller a récemment essayé de corriger un élève dans le Sud du pays, et le dégât corporel qui s’en est suivi est tel que ce Conseiller d’orientation a sa carrière désormais en pointillés et tout seul dans son combat. Ces cas sont nombreux et certains sont pendants dans les tribunaux.

Cette interdiction de l’usage du fouet ne va-t-elle pas mettre à mal l’autorité de l’enseignant étant donné que ces enfants sont fouettés en milieu familial par leurs parents, et lorsqu’on sait que tous les enfants ou presque craignent le fouet ?

Déclarer que les enfants sont fouettés par les parents dans les maisons est une fausse prémice pour fonder un raisonnement fiable. Nous avons d’ailleurs mené une étude statistique sur la proportion d’enfants soumis à la chicote au sein des familles et nous pouvons très vite faire déchanter les tenants de cette thèse, tellement la proportion est faible. Tout au contraire, il est à dénoncer l’avènement d”enfants rois” tellement chouchoutés par les parents dans un élan de protectionnisme presque pathologique. Et ce ne sont pas les plus fouettés qui réussissent le plus.


Par ailleurs l’autorité de l’enseignement sur l’apprenant s’appuie sur une relation pédagogique saine entre les trois instances de la triangulation éducative : Enseignant, apprenant, famille. C’est au travers de la qualité du cours et la facilité avec laquelle l’élève saisît et assimile des leçons bien dispensées que l’enseignant suscite chez son apprenant, admiration, respect et finalement soumission totale. Quand cela ne se passe pas ainsi, l’enseignant perd toute son autorité sur l’apprenant, d’où le recours à un substitut de soumission forcée et aliénant d’une autre époque.

L’avis des enseignants ne devrait-elle pas être prise en compte par le Minesec avant qu’une telle mesure ne soit appliquée ?

Sans être dans le secret du processus ayant conduit le Minesec à réchauffer cette disposition longtemps connue de tous les acteurs de l’éducation, de nombreux enseignants ont été sans doute consultés. Si ce n’est pas le cas, ce ne serait pas du tout une erreur, car ceux qui sont en erreur sont ceux qui ont longtemps fait recours à une mesure proscrite par le règlement en vigueur.
Beaucoup d’établissements se sont gargarisés de bons résultats scolaires en utilisant ces méthodes inhumaines qui travestissent les droits élémentaires de l’individu dont l’enfant. Remettre les choses dans l’ordre par l’autorité compétente ne nécessite pas d’avis outre que celui de qui en a pris la décision.

LIRE AUSSI: Elève fouetté à la machette: “L’enfant est traumatisé” (Laurent Serge Etoundi Ngoa)

En conclusion, l’idée d’une chute de niveau des apprenants sous le fallacieux prétexte du recul de l’usage de la chicote, ou encore la prétention selon laquelle des générations antérieures auraient réussi grâce au fouet sont un refus systématique des mutations sociales dans lesquelles s’intègre l’éducation. Ou mieux, ils relèvent d’un archaïsme exacerbé. Il conviendrait de dépasser ce sédentarisme inhibant et aux antipodes de la mondialisation pluridimensionnelle pour insérer l’éducation dans une socioculture de référence essentiellement dynamique.

Tags:

You Might also Like