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Salil Shetty: «L’Afrique doit repenser le type de démocratie dont elle a besoin pour l’avenir »

Lors du sommet sur la démocratie, l’activiste pour les droits humains et Vice-Président pour les Programmes de Open Society Foundations s’est entretenu avec la presse africaine ayant fait le déplacement de la Zambie. Il explique le concept du renouveau démocratique et pense que l‘ancien modèle a fait son temps.

Propos recueillis par Annie Payep-Nlepe, à Lusaka

On vient d’assister à une discussion portant sur le renouveau démocratique. Que  signifie pour vous ce concept?

Je pense, vous le savez, que la démocratie nous a apporté de nombreux avantages. Nous devrions tous être heureux d’avoir plus d’élections, plus de gouvernements qui sont plus représentatifs du peuple. Mais cela dit, je pense que nous connaissons aussi la réalité : ce n’est pas parce que des gens sont élus que le pays devient une démocratie. Ainsi, dans de très nombreux pays, nous avons aujourd’hui des dirigeants qui sont élus, mais qui n’ont pas encore la confiance de la population.

Je pense donc que le moment est venu de faire autrement. Beaucoup de choses ont changé dans la réalité de l’Afrique et des pays en développement. Les jeunes représentent aujourd’hui une part beaucoup plus importante de la population, les femmes sont devenues beaucoup plus actives. Les médias sociaux exigent désormais que l’on rende des comptes en temps réel. Je pense donc qu’il est temps pour nous de repenser le nouveau type de démocratie dont nous avons besoin pour l’avenir.

Salil Shetty face aux journalistes, 31 mars 2023 à Lusaka. (c) Papa Ismaila DIENG

L’ancienne démocratie a fait son temps. Le moment est venu de repenser, dans le contexte de l’Afrique et du Sud global, les pays en développement, à un système qui gouverne de manière plus responsable et plus transparente.

Quels sont les éléments sur lesquels vous vous appuyez pour penser que l’Afrique a besoin d’un nouveau type de démocratie.  

Comme vous le savez, à l’heure où nous parlons, des manifestations ont lieu dans les rues de Tunisie et du Sénégal. Les dernières élections au Nigeria comme au Kenya sont encore dans les débats pour savoir si les résultats reflétaient la volonté de la population. On ne peut donc pas penser que nous avons atteint l’Afrique démocratique. Il reste un long chemin à parcourir. Et je pense qu’il appartient aux citoyens de se rassembler et de dire « vous savez, ce que nous voulons pour l’avenir ». Il ne faut pas être obnubilé par le présent. La question est de savoir de quoi nous avons besoin pour l’avenir.

Une des conditions sine qua non pour obtenir de l’aide de l’occident c’est le respect des principes démocratiques. Or les élections ont un rôle crucial dans cette construction. Dans votre exposé vous remettez en cause la façon avec laquelle ces élections sont organisées et qui les décrédibilisent. Dans le cadre du renouveau démocratique, faut-il continuer à organiser des élections qui sont contestées?

C’est donc l’argument avancé par les Chinois. Vous savez qu’il n’est pas nécessaire d’avoir ces démocraties manipulées par le biais d’élections, que les élections ne sont pas le seul élément de la démocratie. Avoir un système multipartite n’est même pas la seule définition de la démocratie et je suis d’accord avec cela. En fait, ils ont raison.

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C’est parce que beaucoup de nos dirigeants ont utilisé le fait qu’il y ait des élections pour arriver à leurs fins. Cela dit, si nous devons réfléchir à un nouveau système pour remplacer les élections par une représentation, il faut d’abord le mettre au point. Si nous ne disposons pas d’un meilleur système, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de dire simplement que nous allons mettre fin aux élections. Nous avons besoin d’élections authentiques, libres et équitables. Nous avons besoin de démocraties qui ne soient pas de prétendues démocraties, nous avons besoin de vraies démocraties.

Et je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il s’agit là d’idéaux que nous voulons atteindre à ce stade. Nous n’en sommes qu’au début du voyage. Ce que je veux dire, c’est que le moment est venu, en 2023, pour les citoyens du monde entier de trouver un moyen de ré imaginer la démocratie pour l’avenir. Le système actuel est cassé. Trouvons un meilleur système. Je ne crois pas qu’il n’existe pas.

Que fait votre organisation concrètement pour soutenir ces changements ?

Open Society Foundations travaille depuis des décennies en Afrique. Et notre travail consiste à soutenir les voix de ceux qui ne sont pas entendus. Nous soutenons donc des organisations et des personnes qui luttent pour la justice et les droits. Pour ce qui est de l’espace démocratique, il s’agit d’une société ouverte. Les gens veulent s’exprimer, et nous les aidons de toutes les manières possibles. Il y a des individus qui sont soutenus par des bourses et des organisations qui sont des organisations très importantes. Certaines organisations très petites, situées dans des endroits reculés, bénéficient d’un soutien. Et tout cela a pour but d’aider la démocratie à s’épanouir.

N’est-il pas temps que les pays africains pensent à un mode de gouvernance qui leur est propre? Etant donné que le système importé telle que pratiqué depuis 60 ans semble montrer ses limites?

La démocratie est une bonne chose pour l’Afrique. Sans elle, les nations africaines ne peuvent pas faire progresser leur gouvernance. Il faut combiner les piliers de la démocratie à notre mode de vie.  C’est action collective. Nous avons des sociétés traditionnelles, des sociétés indigènes, nous devons les respecter. Nous ne pouvons pas nous contenter de prendre le modèle français, le modèle britannique ou le modèle américain et dire qu’il est pertinent pour nous. Nous pouvons prendre le meilleur de ces modèles, mais nous devons produire un modèle qui fonctionne dans notre contexte, qu’il s’agisse de l’Amérique latine, de l’Afrique, de l’Asie ou du reste du monde. Je pense que le moment est venu pour nous de repenser ce dont nous avons besoin pour l’avenir.

Je pense que les principes de base restent les mêmes. Vous savez, les gens veulent avoir une voix, ils veulent pouvoir participer, ils veulent être représentés, ils veulent jouer un rôle dans la prise de décision et ils veulent que nos dirigeants soient responsables. C’est aussi simple que cela. Alors ne compliquons pas trop les choses. Le défi auquel nous sommes confrontés est que nous avons des dirigeants et une élite, pas seulement en Afrique, dans toutes les parties du monde, qui ont utilisé la démocratie, qui l’ont sabotée, qui l’ont servie et manipulée pour leur propre bénéfice, une très petite partie de la population. Nous avons donc besoin d’un système qui ne permettra pas que cela continue.

Certains dirigeants africains font remarquer que le modèle discutable appliqué par la Chine n’empêche pas les occidentaux de collaborer avec ce pays. Ils se demandent pourquoi les mêmes qui sont tolérants avec les chinois sont si exigeants envers l’Afrique.

C’est ce que je disais, nos dirigeants utilisent également les acteurs internationaux pour leurs propres intérêts et, bien sûr, si nous sommes un pays pauvre, nous avons besoin du soutien de ces acteurs. L’Occident a naturellement besoin de ce soutien car, après tout, il ne faut pas oublier que ces pays occidentaux se sont enrichis sur le dos des pays du Sud. Ils ont donc aussi une obligation. Je n’ai donc aucun problème avec cela. Mais vous savez, nous ne pouvons pas nous cacher derrière, vous savez, les puissances occidentales sont maintenant avec la Chine pour conclure que nous n’avons donc pas besoin de répondre aux aspirations.

Les droits du peuple africain, du peuple mondial doivent être respectés, protégés et promus. C’est pourquoi nous avons besoin d’une démocratie qui fasse cela.

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