Rebecca Enonchong : “Nos gouvernants n’ont pas encore compris l’importance de l’économie numérique”

La présidente du conseil d’administration de Activ Spaces et DG de Appstech parle de la place de l’économie numérique dans le développement du Cameroun et interpelle le gouvernement à accorder plus d’attention aux startups.

Par Blaise Djouokep

AfriLabs a organisé le 18 février 2022, un programme de renforcement des capacités en faveur des hubs et des startups. Quel est l’intérêt de ce workshop AfriLabs ?

Ce que fait AfriLabs depuis des années, c’est de soutenir les startups. Ce workshop vise à trouver des solutions pour permettre aux hubs d’être plus rentables afin de mieux accompagner les startups. Renforcer leurs capacités sur comment bien lever des fonds, comment approcher les investisseurs. Ces investisseurs qui mettent de leur argent dans les startups sont présents à cette rencontre et sont là pour qu’on trouve ensemble des solutions devant permettre de mieux accompagner les startups et soutenir l’écosystème numérique.

Qu’est-ce qui rend particulièrement difficile le développement de cet écosystème au Cameroun, et en Afrique ?

Il est encore plus difficile d’être entrepreneurs en Afrique qu’en Europe, par exemple. Le point de départ est tellement loin des besoins de l’entrepreneur comparé aux autres continents. Si on prend le cas de l’accès à l’internet, c’est clair qu’il est très couteux sur le continent africain, bien plus que dans les autres pays. Pourtant, l’internet est l’oxygène de l’économie numérique. On doit donc la rendre plus disponible, moins couteuse et de bonne qualité. Ce sont des problèmes structurels et même culturel. Nos dirigeants ne le comprennent pas bien parce que ce n’est pas palpable. Ils ne comprennent pas ce que c’est de créer une application qui a des téléchargements dans le monde entier. Ils ne comprennent pas encore comment on peut gagner nos vies et contribuer à l’économie à travers cette économie numérique. C’est notre devoir de sensibiliser nos parents, nos communautés et nos autorités.

Rebecca Enonchong pendant sa keynote sur la construction d’un écosystème africain. Douala, 18 février 2022

Ces difficultés qui sont encore plus réelles au Cameroun n’entachent-t-elles pas les efforts et l’image de ces entrepreneurs tant au Cameroun qu’au-delà ?

Le Cameroun est très actif dans AfriLabs. Et pour un pays comme le notre, on a deux camerounais membres du conseil d’administration d’AfriLabs, même après mon départ. Et c’est quand même extraordinaire de voir la contribution du Cameroun dans l’écosystème numérique du continent. La personne qui est à la tête de l’organisation des investisseurs, ABAN (Africa Business Angels Network, NDLR), qui est l’organisation qui regroupe les business angels africains est camerounaise. On a donc une énorme contribution au niveau panafricain. Dans l’écosystème numérique, nous sommes reconnus pour notre dynamisme. Et nous avons quand même eu pas mal de succès, surtout lorsqu’on considère les retards que l’Afrique francophone a dans les investissements. Nous avons plusieurs succès des start-up qui ont levé des fonds considérables en 2020 et en 2021. On a des exemples d’entrepreneurs qui réussissent à percer malgré les difficultés.

La dernière actualité, parlant des difficulté est la taxe sur les transferts d’argent… avez-vous finalement pu la comprendre ?

L’économie numérique est une industrie et doit être considérée comme telle. On ne peut pas vouloir soutenir l’économie numérique et taxer l’innovation. La taxe sur le transfert d’argent est une taxe contre l’innovation. On ne taxe pas l’argent qui est dans les poches des gens. On ne taxe pas les transactions de banque à banque. Pourquoi taxer l’argent qui est dans le téléphone ? On ne respecte pas l’économie numérique. Nos gouvernants se disent que comme ce sont des jeunes, ils s’amusent et trouvent les efforts de ces jeunes marrant. Or, il faut respecter ces entrepreneurs, et cette économie numérique autant que le pétrole parce qu’elle apporte une plus-value à notre économie.

“En plus, ces start-up ont d’énormes difficultés à obtenir des agréments dont l’attente peut durer des mois. Ajouté à cela le fait que les autorités ne comprennent pas l’importance du net.”

AfriLabs a une forte communauté de plus de 300 membres. Pourquoi cette communauté n’impacte pas considérablement le développement des startups?

AfriLabs a 320 membres dans 51 pays. Ces membres soutiennent une communauté de presqu’un million et demi d’entrepreneurs. C’est une force. Cette communauté a reçu de nombreux financements. C’est-à-dire que les startups qui sont dans cette communauté réussissent. Nous avons eu en 2021, un montant record d’investissement dans les startups africaines. On est à 4 milliards de dollars d’investissements et en 2022, les chiffres sont extraordinaires. On a aussi nos start-up au Cameroun que nous avons soutenu et qui réussissent à lever des fonds qui se chiffrent en millions de dollars. L’impact est donc considérable et très important. Nous devons donc continuer à soutenir les start-up, à soutenir l’écosystème, à soutenir les hubs qui soutiennent les startups. Nous sommes aussi en train de travailler actuellement sur la relation avec les gouvernants afin de les sensibiliser pour qu’ils comprennent la problématique de ces communautés, et trouver les meilleurs moyens de les accompagner.

Est-ce à dire que les gouvernements ne comprennent pas vraiment l’importance et l’impact de cette économie numérique ?

Il y a un manque de compréhension total, autant dans les pays d’Afrique subsaharienne spécifiquement, et au Cameroun en particulier. Au Cameroun, en même temps on a lancé le développement de cette start-up act, qui est un ensemble de lois qui vont soutenir l’écosystème et soutenir les entrepreneurs numérique dans le même temps, on lance la taxe contre l’innovation. La taxe sur le mobile money est une taxe contre l’innovation. Cela veut dire que nos gouvernants n’ont pas encore compris l’importance de l’économie numérique. La création de ces emplois, la richesse que cette économie numérique apporte, les millions d’emplois sui sont créés à travers le continent, la plus-value en termes de croissance économique. Si on a vraiment compris cet impact, on doit traiter l’économie numérique comme une industrie comme toutes les autres. C’est comme les pétroliers, les grands agriculteurs, comme tous les industriels qui sont respectés et dont on comprend la problématique. Ce n’est pas parce que ce sont des jeunes qui lancent ces entreprises qu’ils ont moins de valeurs que les hommes et les femmes d’affaires connus et établis dans les industries traditionnelles.