Energie : des barrages, mais toujours pas d’électricité
Malgré la construction et la mise en service totale ou partielle des barrages de Mekin, Memve’ele, Lom Pangar, Nachtigal, la fourniture en énergie électrique connait toujours autant de perturbations.
Par Armel Mouanjo
Presqu’un an après les assurances du Directeur général d’Eneo, appuyées par le ministre de l’Eau et de l’Energie (Minee), Gaston Eloundou Essomba, au siège du patronat camerounais, en présence des chefs d’entreprises et des responsables en charge de l’énergie électrique, rien n’a changé. « Avec le retour des pluies d’ici la première quinzaine du mois de mars dans le bassin du Ntem, et la mise en service imminente du premier groupe du barrage de Nachtigal d’une capacité de 60 MW, nous observerons un retour progressif à la normale dans le Réseau Interconnecté Sud (Ris) », rassurait-il, au cours de la rencontre entre d’une part le Minee et les responsables en charge de l’énergie électrique et les chefs d’entreprises, d’autre part, tenue en février 2024.
Promesses sans effet
Même si beaucoup de patrons d’entreprises ne croyaient pas à ces promesses qui, d’après eux, visaient à apaiser des relations tendues entre Eneo et les consommateurs de l’énergie électrique au Cameroun, l’espoir était de mise. Mais, près d’un an plus tard, l’électricité n’est toujours pas disponible. E depuis le début de la saison sèche, un seul jour ne se passe plus sans coupures à Douala comme à Yaoundé. Dans sa longue note, Gaston Eloundou Essomba expliquait que la saison sèche a fait baisser le niveau d’eau. « Ces perturbations sont en partie dues à une baisse de production de l’ordre de 70 mégawatts dans les centrales hydroélectriques de Songloulou et d’Edéa. En cause, le faible remplissage des barrages réservoirs pendant la saison des pluies de 2024 qui a entraîné un déficit hydrologique de plus de 2 milliards de mètres cubes, comparé à l’année 2023. Par ailleurs, le débit interannuel communément observé pendant la période d’étiage, qui contribue à renflouer le volume d’eau dans les barrages, affiche une baisse inédite de 50% ». Faisait-il savoir.
Des barrages et des défaillances
Plusieurs barrages ont été construits pour alimenter en énergie électrique, le RIS, qui regroupe six régions sur les 10 que compte le Cameroun. Les espoirs ont ainsi été portés sur les barrages de Memve’ele, Mekin, Lom Pangar et Nachtigal. Pour la construction des centrales de production de Memve’ele et de Mekin, un investissement de plus de 480 milliards de Fcfa est consenti par l’Etat du Cameroun. Malheureusement, plusieurs localités ne sont toujours pas connectées au réseau électrique, ou, bien qu’alimentées, restent toujours sans « lumière ».
Mis sous tension en 2019, le barrage de Mekin, construit par la China National Electric Engineering Corporation (CNEEC) est essentiellement destiné à alimenter en électricité les huit communes du département du Dja et Lobo, grâce à une ligne d’évacuation d’énergie de 33 kilomètres. D’un coût initial de 25 milliards Fcfa, le projet qui avait déjà englouti 34,5 milliards de F Cfa en début 2020, est financé par l’Etat du Cameroun (25%) et par un prêt de l’Exim Bank of China (75%). Mekin devait être réceptionné en 2015, mais la mise en service provisoire n’a été fait qu’en juillet 2019, avec une puissance réduite de 11,2 mégawatts sur les 15 prévus.
« La situation s’est aggravée lorsque, quelques mois après sa mise en service, le barrage a cessé de fonctionner suite à une inondation inattendue qui a submergé les pompes à eau. Cet incident a suscité l’indignation de nombreux observateurs, qui soulignent l’ironie de voir une infrastructure conçue pour fonctionner dans l’eau être paralysée par celle-ci » écrivait alors Actu Cameroun.
Concernant le projet de Memve’ele, ses 211 mégawatts annoncés dans le réseau national depuis octobre 2022, devaient se ressentir dans la région du Sud où est installée la centrale hydroélectrique. Problème, apprend-on, sa production chute drastiquement durant la saison sèche, à cause de la faible hydrologie du fleuve Ntem sur lequel il est construit. D’après les experts, la résorption de ce problème passe inéluctablement par la construction d’un barrage-réservoir. Un projet qui, de toutes les façons, prendra au moins 6 à 8 ans d’après les spécialistes.
Estimé à plus de 300 milliards de FCFA, le projet de Lom Pangar avait pour but d’améliorer l’offre énergétique dans la région de l’Est à travers la construction d’une usine de pied de 30 MW pour alimenter au moins 150 localités. Même si les travaux de l’usine de pied sont terminés et que toutes les 4 turbines sont fonctionnelles depuis le 2 janvier 2024, seulement 14 MW sont injectés dans le réseau existant selon EDC, tandis que les délestages continuent de s’intensifier. Le projet consistait en la construction d’un barrage de retenue, d’une centrale hydroélectrique au pied du barrage d’une capacité de 30 MW, d’une ligne électrique de transport et d’extension de réseaux pour la Région de l’Est.
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D’un investissement de 786 milliards de FCFA, le barrage de Nachtigal va permettre, à terme, d’augmenter de 30%, d’un seul coup, les capacités de production de l’électricité au Cameroun. Cette infrastructure énergétique va également doper la contribution de l’hydroélectricité dans le mix énergétique. Au cours d’un point de presse qu’il a donné le 18 juillet 2023, à l’occasion de la cérémonie de mise en eau du barrage de Nachtigal, le Minee annonçait la mise en service complète de cette infrastructure au mois de septembre 2024, laquelle débitera alors la totalité de ses 420 MW, 10 mois seulement après la mise en service des premiers 60 MW, prévue en décembre 2023 (et finalement effectuée en mai 2024). Mais aucun délai ne sera respecté. Finalement, le 14 janvier 2025, la NHPC qui gère le barrage de Nachtigal a annoncé que c’est au total 360 MW qui sont désormais injectés dans le réseau.
L’infrastructure visitée le vendredi 11 aout 2023 par une équipe de l’Arsel dans le cadre du suivi régulatoire des investissements du secteur de l’électricité décèle de nombreuses défaillances. La présence de l’Arsel consiste à faire le point de la conformité de cet investissement après la mise en eau réalisée le 18 juillet (un mois plus tôt) par le Minee. Dans un rapport adressé au Minee au terme de la visite, le directeur général de l’Arsel, Jean Pacal Nkou, se dit préoccupé par les risques de retard dans les délais de livraison des travaux. Sur le barrage déversant à seuils labyrinthes, des fissures verticales sont visibles entre les joints de plusieurs plots avec des infiltrations d’eau ; des fissures horizontales sont également observées sur les joints corps de structures. Le régulateur du secteur de l’électricité au Cameroun décèle également des dégradations précoces et accélérées des bétons ; des fissures verticales sur la paroi de la prise d’eau d’usine ; des fuites d’eau au pied de la paroi de la prise d’eau d’usine avec la mise en eau du canal d’amenée.
Avaries techniques
Pour corriger ces manquements relevés notamment en ce qui concerne le barrage de Nachtigal, le régulateur va exiger un calendrier des travaux de correction de ces anomalies avant même sa livraison.
A en croire des experts, les manquements que posent les nouvelles infrastructures hydroélectriques sont dus à des choix questionnables. «Des mesures n’ont pas suffisamment été prises pour résoudre ce problème. Quand on concevait le projet Memve’ele, on savait que les étiages sont souvent sévères sur nos cours d’eau. Malheureusement, ce problème d’étiage n’a pas pu être résolu et la conséquence est que les populations sont toujours dans le noir », note Léopold Tchako, expert. Le transport de cette énergie constitue également un problème crucial. « La ligne de transport doit être construite en même temps que la centrale de production, car l’énergie produite ne peut être stockée », développe-t-il.
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Les difficultés résident tant au niveau de la production, du transport, de la distribution de l’énergie électrique. « Pour acheminer l’électricité à Douala, à Yaoundé ou ailleurs où on en a besoin, il nous faut un réseau de transport qui va permettre de transporter l’électricité jusqu’à là où elle sera consommée et transformée pour la distribuer et alimenter les différents usages », renseignait le directeur général d’Eneo sur les antennes de Balafon Télévision. Des difficultés liées au transport de l’énergie auxquelles la Société nationale du transport de l’électricité (Sonatrel) n’a pas souhaité apporter d’éléments de réponse. Contacté par Télé’Asu, le responsable de la communication ne dira mot.
Les difficultés à l’origine des délestages ne sont pas que liées au transport. « Les avaries techniques, au niveau de la production, limitent la production ; au niveau du transport et même de la distribution. Si nous avons une contrainte qui fait que la production est limitée, c’est parce que nous avons une centrale qui est absente ou parce que nous avons une avarie. L’offre est limitée et nous sommes obligés de réduire la demande pour conserver l’équilibre. Si nous avons une avarie au niveau du transport et qu’une ligne de transport est indisponible, nous devons adapter la possibilité de livrer l’électricité en fonction des capacités techniques », fait savoir le DG d’Eneo.
Outre les avaries techniques, certaines situations impactant la production contraignent également Eneo à procéder à des délestages. Les facteurs limitants aujourd’hui sont le transport et la distribution. Il faut avoir des réseaux de distribution suffisants. Mais Eneo fait également face aux impayés des entreprises étatiques. Toute chose qui ne permet pas à Eneo de payer ses prestataires et fournisseurs. S’exprimant dans plusieurs médias, Amine Hamman Ludiye, DG de Energy of Cameroon (Eneo) avait présenté la situation plus ou moins tendue entre Eneo et l’État du Cameroun, les deux parties ne s’entendant pas sur le montant de la dette qu’ils avaient pourtant décidé de gérer de manière croisée.
Dettes de l’État
Selon le Dg de Eneo, « la dette des entités publiques envers Eneo a presque doublé, passant de 167 milliards Fcfa au 31 décembre 2022 à 266 milliards Fcfa au 31 décembre 2023 », soutenait-il sur les antennes de Balafon Tv. En février 2024, le directeur général d’Eneo a révélé que les discussions achoppaient sur la compensation tarifaire. Une dette qui l’empêche d’investir dans le développement des réseaux, dans la stabilisation des réseaux, dans la fiabilisation des outils de production. « C’est un problème central. Pire. Eneo ne peut pas payer Sonatrel, qui elle aussi ne peut pas faire face à certains de ses engagements. Et c’est vrai pour d’autres fournisseurs. Le secteur de l’électricité vit un équilibre fragile notamment par rapport à cette crise financière qui affecte l’ensemble des acteurs du secteur et la qualité du service », regrette-t-il.
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Ce qui contribue à mettre Eneo dans une tension de trésorerie intenable. « Nos principaux clients, majoritairement des entités publiques, ne règlent pas de façon diligente leurs factures pour les services fournis. (…). Ce qui creuse le déficit de trésorerie. Par conséquent, nous sommes incapables de régler nos fournisseurs comme il se doit. Cette situation n’est plus supportable et il est impératif de prendre des mesures visant à rétablir l’équilibre financier dans le secteur de l’électricité afin qu’il puisse fonctionner convenablement et se développer ». S’exprimant sur le sujet, le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune indiquait alors que « cette sortie intervient environ 4 mois après l’annonce faite par les équipes du Minfi, selon laquelle l’Etat avait apuré sa dette vis-à-vis de l’entreprise au point de payer même certaines factures à l’avance ».
« Pour remédier à la situation, il avait été annoncé le paiement hebdomadaire par le Trésor public camerounais, d’une enveloppe d’un milliard Fcfa à l’entreprise », écrit le journal. Or, selon de Dg de Eneo, « nous émettions pour environ 7 milliards Fcfa de factures mensuelles à l’égard des entités publiques (administrations, entreprises publiques, hôpitaux, universités…). Mais, depuis le début de cette année, nos recouvrements se sont limités à 1,5 milliard Fcfa en janvier et 1,8 milliard Fcfa en février. Le versement hebdomadaire d’un milliard Fcfa en guise de paiement partiel des factures de l’Etat central sur lequel les parties s’étaient accordées pour alléger la facture n’a été effectuée qu’une seule fois durant les mois de janvier et février 2024 », développe Amine Hamman Ludiye.
Or, selon le quotidien gouvernemental, « la dernière conciliation effectuée pour la période allant du 1er janvier 2021 au 20 décembre 2023 par un procès-verbal dûment signé par les équipes d’Eneo et l’Etat laisse apparaitre un solde en faveur de l’Etat de 16 357 035 Fcfa, sous réserve de la validation des consommations des administrations publiques n’excédant pas en moyenne 19 milliards Fcfa par an. Eneo avait déjà perçu à ce titre, un montant de 13,5 milliards Fcfa en paiement direct par le Trésor public pour la période allant de janvier à aout 2023».
L’Etat y affirme avoir également payé à Eneo, en janvier 2024, la somme de 30 milliards Fcfa au titre de la reprise de la dette de plusieurs entreprises publiques « afin de permettre à cette société d’apurer une partie de ses dettes urgentes vis-à-vis de Kpdc et Dpdc, leur principal fournisseur d’énergie ».
Insuffisance énergétique
Les causes des délestages sont donc multiples. Selon le Dg de Nachtigal Hydro Power Company, le parc de production d’électricité actuel est constitué de 62% de l’hydroélectricité, 14% du thermique au gaz, 22% du thermique au fioul et 2% du solaire. La capacité de production installée est estimée à 1534 Mw dont 1659 Mw dans le Réseau interconnecté Sud (Ris) pour une disponibilité d’environ 1200 Mw. « L’offre de production provenant de l’hydroélectricité associée au gaz est de l’ordre de 940 Mw environ pour une demande en journée de 960 Mw et 1140 Mw en soirée. D’où un déficit de 20 Mw en journée et 200 Mw en soirée. La mise à contribution de l’ensemble des centrales thermiques au fioul (172 Mw) pour résorber le déficit en soirée n’est pas suffisante. Lorsqu’on associe à cela les problèmes d’hydrologie liés aux changements climatiques dans le bassin du Ntem non régulé, les difficultés d’approvisionnement en combustible, et les opérations de maintenance des Centrales, on observe un déficit dans le RIS allant à plus de 180 Mw », développe le Minee d’après qui les délestages actuels se justifient par un déséquilibre accru entre l’offre et la demande en période d’étiage.
“La centrale de Memve’ele ne disposant pas des barrages réservoir sur le fleuve Ntem, sa production d’électricité est affectée pendant la saison sèche”.Gaston Eloundou Essomba
Une situation qui résulte de la crise hydrologique consécutive aux changements climatiques ayant entrainé un déficit conjoncturel de la production et de la centrale de Memve’ele, sur le fleuve Ntem. « La centrale de Memve’ele ne disposant pas des barrages réservoir sur le fleuve Ntem, sa production d’électricité est affectée pendant la saison sèche allant de décembre à mars et de juillet à aout », note Gaston Eloundou Essomba. Ce qui explique la baisse drastique de la production de Memve’ele passant en décembre 2023 de 200 Mw à 35Mw. D’où un déficit de 170 Mw.
Perspectives
A en croire le Dg d’Eneo Cameroon, le gouvernement a mis en place un plan de redressement du secteur de l’électricité, approuvé et soutenu par la Banque mondiale. Lequel plan va permettre d’augmenter la capacité de transport de l’électricité ; d’augmenter et d’améliorer la fiabilité de l’énergie électrique fournie ; de développer les réseaux de distribution. Des compteurs intelligents seront également développés, déroule le Dg d’Eneo d’après qui ces actions sont menées en concertation avec les partenaires locaux et internationaux dans le but d’améliorer l’électricité.
“La restructuration de la dette bancaire de Eneo devra faciliter son rééchelonnement pour permettre, à court terme, d’alléger la pression sur la trésorerie”.
Parmi les autres mesures, la restructuration de la dette bancaire de Eneo devra faciliter son rééchelonnement pour permettre, à court terme, d’alléger la pression sur la trésorerie ; la mise en place au Minfi, d’un comité de suivi des paiements dans le secteur de l’électricité permettant à Eneo d’encaisser les paiements des factures courantes de certaines entités publiques auparavant, reliquataires chroniques. Pourtant, l’activité commerciale d’Eneo est bénéficiaire, soutient le Dg d’Eneo. « Le problème c’est la trésorerie d’Eneo. Les dettes d’Eneo empêchent à Eneo de pouvoir exercer correctement », soutient-il.
Le gouvernement dit poursuivre la construction des ouvrages de production qui apporteront à terme un surplus de production de 2000 Mw dans le Ris à l’horizon 2032. « Lorsque l’ensemble des ouvrages de transport programmés sera mis en œuvre, la ville de Douala sera alimentée outre par les deux lignes de 225 Kva, existantes (Mangombe-Logbaba et Songloulou-Logbaba) ; de la future ligne 225 Kva Edea (Beon)- Ngodi Bakoko, qui sera raccordée à la centrale de Nachtigal dont la mise en œuvre prévisionnelle est prévue pour octobre 2024 ; la future ligne 400 Kva Nachtigal-Bafoussam via la ligne 225 Kva Bafoussam-Békoko mis en service en décembre », développe Gaston Eloundou Essomba.
De 2010 à aujourd’hui, l’État et ses partenaires ont mobilisé plus de 3000 milliards Fcfa pour améliorer l’offre en énergie électrique. Ces ressources ont servi à la construction et au démarrage de quelques ouvrages phares telles que les centrales de production hydroélectrique de Nachtigal, Memve’ele, la ligne d’interconnexion du réseau Sud à la région de l’Est, la ligne 225 Kva Nkongsamba Bafoussam, la ligne 225 Kva Nyom 2 – Yaoundé, les postes d’interconnexion 225 Kva de Bafoussam t Abong Mbang, l’argumentation des capacités de transformation des postes de Logbaba et Oyomabang, les centrales solaires de Maroua et Guider.
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