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Me Félix Agbor Nkongho Balla : « Les chefs traditionnels doivent résister aux pressions politiques »

L’avocat au barreau du Cameroun et président du Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique condamne l’appel des chefs traditionnels du Sud-Ouest à la candidature du chef de l’État et au lancement de sa campagne électorale dans cette région en crise.

Par Armel Mouanjo

Les chefs traditionnels de la région du Sud-Ouest appellent le président Paul Biya à se porter candidat à la prochaine élection présidentielle et à lancer sa campagne électorale dans la région du Sud-Ouest. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

C’est une très mauvaise chose. Les chefs traditionnels ne doivent pas être politiquement engagés. Malheureusement, malgré leur rôle historique de personnalités impartiales, de nombreux dirigeants traditionnels ont été entraînés dans la politique partisane, souvent en raison de l’influence du gouvernement ou de leurs intérêts personnels. Cette implication présente plusieurs défis : la perte de légitimité et de confiance, car un chef traditionnel qui s’aligne sur un parti politique risque d’aliéner les membres de sa communauté qui soutiennent les factions opposées. Cela affaiblit leur autorité morale et les fait apparaître comme des agents politiques plutôt que comme des gardiens neutres de la tradition. Il y a également une menace pour la cohésion sociale. La politique est intrinsèquement source de division. Lorsque les chefs traditionnels prennent parti politiquement, ils contribuent aux divisions communautaires, alimentant les tensions et parfois même les conflits entre leurs sujets. Il y a également une manipulation de ces chefs traditionnels par l’État. Les gouvernements successifs du Cameroun les utilisent comme outils politiques pour influencer les populations locales. Cela compromet leur capacité à défendre les véritables intérêts de leur peuple, car ils deviennent redevables aux élites politiques.

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Le Cameroun se prépare à une élection présidentielle cruciale en octobre 2025. Compte tenu des tensions et des défis historiques entourant les élections, tels que les divisions politiques, l’apathie des électeurs et les inquiétudes concernant la manipulation électorale, les dirigeants traditionnels devraient promouvoir la paix, l’unité et l’équité, plutôt que de prendre parti.

Ils justifient leurs demandes, disent-ils, par les efforts consentis par Paul Biya pour la paix au Cameroun. Cette raison semble-t-elle compréhensible ?

Cette justification est illogique. Les chefs traditionnels ne doivent pas faire de la politique. Ils sont des gardiens de la tradition et non des membres d’un parti politique. Un chef traditionnel doit être apolitique et neutre sur le plan politique. Demander au président d’un parti politique d’être candidat, c’est prendre position. Et le prétexte de la paix ne tient pas. La région du Sud-Ouest, et même celle du Nord-Ouest, connaissent une guerre fratricide depuis plus de 7 ans. Et le président n’est jamais descendu dans l’une de ces régions pour voir ce qui s’y passe et y apporter des solutions. Mais, tout ce que les chefs traditionnels ont cru bon de devoir faire, c’est de lui demander de venir lancer sa campagne électorale, alors que des gens meurent.

Qu’est-ce qui, d’après vous, peut justifier ces appels des chefs traditionnels de la région du Sud-Ouest ?

Ils font cette demande au chef de l’État pour justifier leur présence à ce poste. Ils savent que leur autorité vient du parti au pouvoir. Et donc, s’ils ne font pas ce qui va plaire aux gouvernants, le Minat pourra demain faire un communiqué pour les faire remplacer. Donc, ils font cela pour protéger leurs sièges, et non pour l’intérêt de leur population. Ils veulent être dans les bonnes grâces du Rdpc. Nous ne sommes pas d’accord d’avoir un président qui a fait plus de 40 ans au pouvoir et à qui les chefs traditionnels demandent de se représenter.

Quelles peuvent être les conséquences des demandes de ces autorités traditionnelles sur la paix et la stabilité dans cette région en troubles depuis 8 ans et qui connaît une relative accalmie depuis quelques mois ?

Lors des élections précédentes, certains dirigeants traditionnels ont été accusés de soutenir ouvertement certains candidats, d’influencer leurs communautés à voter d’une manière particulière, ou d’être exploités par le gouvernement pour contrôler le comportement des électeurs. Cela soulève des inquiétudes quant à un leadership biaisé, à un manque de choix démocratique et à une division sociale au sein des communautés.

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Un exemple récent est l’appel public lancé par certains dirigeants traditionnels pour que le président Paul Biya se présente à nouveau aux élections de 2025. De tels soutiens soulignent à quel point les dirigeants traditionnels se sont engagés politiquement. Cela crée des divisions au sein des communautés et renforce en outre la perception selon laquelle ces dirigeants sont utilisés comme des outils politiques plutôt que de représenter leur peuple de manière impartiale. Ces soutiens risquent également de miner la confiance du public dans les institutions traditionnelles, dans la mesure où de nombreux citoyens pourraient les considérer comme des gardiens partisans plutôt que neutres du patrimoine culturel.

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Alors que le Cameroun se dirige vers de nouvelles élections, les dirigeants traditionnels doivent résister aux pressions politiques et conserver leur rôle principal de gardiens neutres des intérêts de leur peuple.

La présence du président Paul Biya dans la région du Sud-Ouest peut-elle contribuer à ramener la paix dans cette région, ainsi que dans celle du Nord-Ouest ?

La présence du chef de l’État dans la région du Sud-Ouest ou dans celle du Nord-Ouest doit se faire dans un contexte bien précis. Il doit venir parce qu’il veut apporter des solutions à la guerre fratricide qui déchire les enfants du Cameroun depuis de nombreuses années. Mais, dire qu’il vient pour la campagne électorale, ce n’est pas possible. Il doit venir parler aux Camerounais, aux fils et filles du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Venir uniquement pour battre campagne au nom du Rdpc.

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