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Crise anglophone

Raoul Aimé Sumo Tayo : L’exposition de son corps vise à dissuader les potentiels recrues des sécessionnistes

Le chercheur à l’Institut d’Etudes politiques de l’université de Lausanne analyse cette victoire de l’armée et son impact sur la suite de cette guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Par Blaise Djouokep

L’actualité dans la guerre qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est marquée la neutralisation par l’armée camerounaise, de Field Marshall, présenté comme le Chef de guerre dans la région du Sud-Ouest. Son corps a ensuite été présenté à la population par l’armée comme un trophée de guerre. Quelle lecture pouvez-vous en faire ?

Il s’agit d’abord d’un acte de communication. Cette modalité de gestion de la physicalité ennemie a vocation à prouver que ce chef de guerre a été effectivement neutralisé. Il s’agit là d’un invariant des pratiques contre-insurrectionnelles conduites au Cameroun depuis la guerre d’indépendance. Il faut dire que les nombreuses fausses annonces de la mort de Field Marshall avaient fini par démonétiser la parole des militaires sur cette question et construit le mythe de son invulnérabilité. La démarche actuelle des militaires vise donc à tuer le mythe.

Outre la dimension liée à la communication, l’exposition du corps de Field Marshall participe de la légitimation de l’action car traditionnellement les peuples acceptent les pertes et les guerres longues lorsqu’elles sont rassurées par des succès tactiques intermédiaires et entrevoient le succès final. Comme la pratique où les armes prises à l’ennemi sont exposées comme trophées, l’exposition du corps d’un ennemi redouté que l’on vient de terrasser est à la fois un signe de respect et les prémices d’une victoire future.

En outre, l’exposition du corps vise parfois à dissuader les potentielles recrues des insurgés dont les victoires créent en général un appel d’air auprès des sympathisants désireux de participer à ce qui est perçu comme une épopée. Le fait d’exposer le corps de Field Marshall pourrait également servir à galvaniser les troupes amies. Enfin, il n’est pas superflu de noter que cette neutralisation intervient au moment où l’on annonce la visite à Yaoundé du président français, Emmanuel Macron

Quel peut être l’impact de la neutralisation de Field Marshall sur les attaques des sécessionnistes ?

Généralement, comme dans toute guerre, les victoires tactiques ont un impact psychologique sur les insurgés. Si la destruction des moyens de combat de l’adversaire est un moyen de monter sa détermination, l’élimination physique est parfois le seul moyen de faire plier un adversaire résolu. Parce que très souvent, une insurrection repose sur la figure d’un leader charismatique, la neutralisation de ce dernier peut conduire à l’effondrement de son groupe.

Mais il ne faut pas se faire d’illusions : ça fait longtemps que Field Marshall n’était plus qu’un épouvantail. Affaibli par la maladie, obligé de se cacher et privé d’initiative, il subissait les pressions multiformes de l’armée camerounaise depuis de très nombreux mois. Tout au plus, sa neutralisation pourrait accélérer le processus d’affaiblissement des groupes armés sévissant dans cette partie de la Région du Sud-Ouest. Pire, si l’armée ne capitalise pas cette victoire tactique et symbolique, la neutralisation de Field Marshall n’aura servi à rien. D’ailleurs, ce type de mouvement est généralement structuré avec une multiplicité de centres de gravité. Dans cette configuration, même lorsqu’un centre de gravité vient à être altéré, le combat peu se poursuivre suivant une autre logique.

De même, si un groupe perd son chef ou son artificier, un autre groupe peut frapper d’autres cibles. Ce type de mouvement a très souvent une capacité de régénération presque illimitée. C’est la raison pour laquelle le général Stanley Mc Chrystal pense que le centre de gravité réel est le lien entre les assaillants et les populations et de ce fait, il faut agir prioritairement sur ce dernier. Dans le cadre d’une guerre de contre-insurrection, la victoire ne se mesure pas à l’aune des critères clausewitziens que sont la destruction de la force ennemie et la conquête de son territoire.

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Comment devra se comporter actuellement l’armée sur le théâtre de cette guerre, après la neutralisation de l’un des plus influents terroriste ?

Comme elle aurait dû faire depuis le départ : faire un usage intelligent de la force, ne pas s’aligner sur la violence des indépendantistes et perdre ainsi en légitimité. Pour le reste, il s’agira de consolider les dynamiques en cours de grignotage progressif du potentiel de combat de l’adversaire car « seul un adversaire mis en échec sur un plan militaire est prêt à s’asseoir à la table des négociations ». Pour ce faire, un effort devra être mis à l’assèchement des ses soutiens des insurgés et leurs flux logistiques. Une synergie entre l’outil militaire et la diplomatie pourrait permettre de gagner la bataille des flux logistiques qui, dans le cadre d’une guerre de contre-insurrection, est toujours décisive. Cela passera par la collaboration avec les pays voisins et certains pays amis du Cameroun.

De toute façon, des chefs militaires avec qui je me suis récemment entretenu savent pertinemment que la victoire passera à la fois par une marginalisation territoriale et une marginalisation tactique des indépendantistes. Sur le premier aspect, le défi est de déterminer la zone d’application de l’effort, de s’y introduire, de reprendre le contrôle par un quadrillage le plus serré possible. Pour utiliser la métaphore médicale, il s’agira de nettoyer la plaie, son contour, puis appliquer une compresse stérile afin que le mécanisme biologique conduise à la cicatrisation. Pour cela, une politique plus volontariste de dotation de moyens est à espérer. Il faudra également renforcer la dynamique en cours de marginalisation tactique des insurgés qui les pousserait à se discréditer aux yeux des populations par des actes de terrorisme. Cela passe surtout par un bon maniement du bâton et de la carotte.

Enfin, l’armée devrait renforcer ses actions d’influence pour gagner la bataille des cœurs et des esprits. D’importants moyens devront être mis à disposition à cette fin. La sécurité étant le premier besoin fondamental de tout être humain, la victoire revient souvent à celui qui le mieux assure la protection des populations. Dans tous les cas, les chefs militaires doivent toujours garder à l’esprit le fait que dans le cadre de ce type de guerre, la liberté d’action passe par une légitimation permanente de l’action, l’économie des moyens s’obtient par l’adaptation de la force au contexte local et la concentration des efforts découle d’une marginalisation de l’ennemi, comme l’ont souligné les colonels Courrège, Germain et Le Nen.

Le général Bouba Doubekreo, présenté comme le symbole de la puissance de Feu de l’armée camerounaise dans la guerre contre Boko Haram a été redéployé à Bamenda. Est-ce à dire que l’armée sera encore plus offensive que par le passé ?

Si ce dernier jouit d’une certaine liberté d’initiative, l’armée sera, non pas plus offensive, mais plus rationnelle et intelligente. Certains ne le savent peut-être pas, le général Dobekreo a une très riche expérience, dans la lutte contre la piraterie maritime, le braconnage avec des moyens de guerre à Boubba Djidda, le banditisme rural et transfrontalier, entre autres. Dans le cadre de mes travaux de recherche, il est très vite apparu que ce dernier avait une grande capacité d’analyse des situations complexes. Tenez par exemple, C’est lui qui a mis en place le programme de reddition volontaire des combattants de Boko Haram dès 2016. Avant tout le monde, il avait compris le risque de radicalisation des familles contre les djihadistes repentis et avait eu des réunions avec des chefs de villages pour leur expliquer la logique de son opération d’influence. Avant tout le monde, il avait compris le rôle que pouvaient jouer les femmes dans la défection de combattants Boko Haram, etc. C’est pourquoi je suis optimiste à la suite des récents mouvements à la tête du commandement militaire territorial.

En revanche, malgré la qualité des généraux déployés dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ces derniers ne feront pas de miracles. Les unités sous leur commandement n’ont pas vocation à résoudre la crise anglophone. Elles doivent juste créer les conditions d’une gestion au politique de cette crise. Dans ce type d’interaction conflictuelle, la victoire ne dépend plus uniquement d’une bataille sur le terrain. Ce qu’il faut c’est une approche globale qui consiste à agir simultanément dans les domaines politiques, économiques, sociaux et sécuritaire.

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